« Scandal », un monument de pop-culture qui a révolutionné la perception du leadership féminin afro

Written by on 15 avril 2018

Il y a quatre ans, lorsque j’ai débuté ma chronique culturelle dans les colonnes du « Progrès Social », en Guadeloupe, mon premier article dans ce cadre s’intitulait « Scandal ou la communication politique sexy ».  À l’époque, cela faisait quelques temps que j’avais fait une croix sur le journalisme politique, puisqu’étant officiellement passée du côté des communicants et des stratèges politiques, je me voyais mal continuer à écrire en tant que journaliste politique. Et puis, cette série faisait quelque part écho à mes activités professionnelles, et nombre d’éléments faisaient que je pouvais enfin m’identifier à une héroïne iconoclaste. Quatre ans plus tard, et alors que le clap de fin vient de tomber, je vous explique tout ce que j’ai aimé dans « Scandal » …malgré tout.

Le pitch

Washington DC et son microcosme politique parfois sans vergogne ni scrupule. Olivia Pope, africaine-américaine, la jeune trentaine, est une experte en relations publiques et en gestion de crise…et accessoirement la maîtresse du président des Républicain des USA, Fitzgerald Grant, archétype WASP, dont elle a dirigé les campagnes électorales. Autour d’elle, des « gladiators in suits », des gladiateurs en costumes, comme elle qualifie ses collaborateurs, parmi lesquels des avocats, une spécialiste des litiges, et un ancien agent d’un service ultra secret un peu border line, et devenu hacker, mais aussi expert en dissimulation de cadavres.

La fine équipe est régulièrement appelée par des dirigeants politiques et de puissants hommes d’affaires afin de gérer des crises potentiellement explosives et nuisibles pour leur image et carrière. Bien souvent, ces potentiels scandales, aussi rocambolesques les uns que les autres, impliquent des politiciens d’envergure, et, d’une façon ou d’une autre, ramène Olivia Pope à la tentation présidentielle et adultère. Entre plans de com savamment menés, avec ses gladiators in suits, et une vie privée et familiale digne d’un cas d’école œdipien, Olivia Pope navigue en eaux troubles, et brille par sa capacité à toujours tout « fixer » ; et sa relation au pouvoir, en tant que femme noire dans un monde d’hommes blancs, est perpétuellement questionnée. 

Olivia Pope, anti-héroïne

Si son personnage fascine, parce qu’elle casse les codes de la femme noire en colère, de la femme noire mère célibataire, de la femme noire battue, de la femme noire désespérée et impuissante tant servis par la pop-culture américaine, il n’en demeure pas moins qu’Olivia Pope est un personnage puissant mais aussi clivant. Si rien que sa façon de balancer sa perruque lisse en faisant cliqueter ses talons aiguilles de façon synchro, était une signature de l’affirmation de son pouvoir, combien de femmes noires ou d’activistes ont reproché à Shonda Rhimes d’avoir érigé en héroïne un personnage qui reproduisait des schémas coloniaux, et de ne rien faire pour défendre ni les droits des femmes, ni les droits des Noirs, en se posant comme une servile exécutrice du pouvoir masculin blanc ? Je me souviens même avoir lu un billet de blog où Olivia Pope était comparée à une esclave de maison qui apprécie son sort et l’illusion de pouvoir que tout cela lui apportait. 

C’est pourquoi j’ai particulièrement apprécié toutes les fois où les scénaristes lui ont opposé quelqu’un qui lui rappelait que ses privilèges ne faisaient pas d’elle autre chose qu’une femme noire. Qu’il s’agisse de Marcus, ou encore de Papa Pope (le dernier épisode est, dans ce sens, un monument de leçon faite à Olivia et aux privilégiés du Capitole…à se demander si le vrai héros ce n’était pas lui !), Shonda Rhimes a mis son personnage principal devant ses contradictions afin d’en tirer une dialectique flamboyante en termes d’affirmation du leadership féminin afro.

Dans l’épisode cross-over de « Scandal » et « How To Get Away With Murder » (S7 E12, « Allow Me to Reintroduce Myself »), AnnaLise Keating va jusqu’à lui balancer au visage qu’elle est « juste comme un homme blanc dans une salle de réunion, me prenant de haut et me regardant avec dédain juste parce que mes hanches sont trop larges et que ma peau est trop noire », alors même qu’elle hésite à lui apporter de l’aide sur un cas pour l’amélioration de l’accès des Afro-Américains à une justice plus équitable.

Une fine stratégie et une présence online bien pensée

La série, aux USA, réunissait en moyenne 7 à 8 millions de téléspectateurs, chaque semaine, avec un pic à près de 10 millions, à la fin de la saison 2. Et ça, c’est sans compter les millions d’autres qui ne peuvent attendre la diffusion de Scandaldans leurs pays, et se ruent sur les sites internet de streaming…légaux ou non, pour des séances de « binge watching ». En d’autres termes, pour de véritables marathons durant lesquels ils regardent tous les épisodes non-stop. 

« Scandal », c’était aussi une stratégie de communication et surtout de fédération des fans savamment menée. Durant les épisodes, ABC n’hésite pas à inviter les spectateurs à commenter sur Twitter avec des hashtags, et à manager la communauté online. Les fans ne sont plus considérés comme de simples spectateurs, mais comme des gladiators in suitsd’Olivia qui auraient aussi pu jouer un rôle dans la série. Un exemple du pouvoir que peuvent exercer les spectateurs à travers les réseaux sociaux, car leur opinion était souvent prise en compte par les scénaristes. 

Un féminisme et un leadership féminins afro qui cassent les codes de la bien-pensance

Enfin, et non des moindres, l’affirmation du leadership d’Olivia Pope et d’autres femmes, ne peuvent laisser les téléspectateurs insensibles. Alors oui, Olivia Pope est la jeune et jolie noire qui est la maîtresse d’un président…blanc, et cela a fait hurler certains qui y voient une réminiscence de schémas coloniaux, mais il n’en demeure pas moins que très peu de productions culturelles populaires internationales ont porté, à ce niveau de puissance et de conscientisation, l’idée d’un leadership féminin afro fort qui n’aurait pas à s’excuser d’être et de s’exercer. Nous sommes bien loin des clichés sur les femmes noires, généralement véhiculés par la pop-culture : mères célibataires, droguées, femmes aigries, etc. 

L’épisode 12 de la saison finale, faisant se rencontrer Olivia Pope et AnnaLise Keating, l’autre héroïne afro-américaine de ShondaLand, avec un épisode cross-over,confirme le parti-pris féministe afro de la série. Chose rarement vue dans des productions de pop-culture aussi populaires et qui, à elle seule, m’a fait adorer cette série. 

Peu importe ce qu’aura voulu signifier la présence du portrait d’Olivia Pope dans la National Gallery Of Art, où trônent les portraits des présidents et des Premières Dames US, à la toute   fin de « Scandal » : qu’Olivia Pope soit devenue Première Dame, ou encore mieux Présidente, l’on retiendra qu’à la fin, elle aura su affirmer qui elle est, et les détails de sa chevelure naturelle sur le tableau, et la flamboyance de sa tenue colorée et l’ampleur de sa jupe (elle a toujours été en pantalon, tout au long de la série, sauf oubli de ma part), font à eux seuls oublier sept longues saisons à subir cette satanée perruque ! 

Comment ne pas voir dans cette scène, un écho à un épisode de « How To Get Away With Murder », lorsqu’AnnaLise Keating enlève sa perruque lisse pour enfin laisser la femme noire qu’elle est exister et casser les codes de l’impériosité assimilationniste pour les femmes noires qui frappent aux portes du leadership. 

Oui, Olivia Pope aura été un monument d’arrogance – mais on aime les héros masculins arrogants (cf. Harvey Specter dans « Suits »), une espèce de mante religieuse, une femme qui n’a aucune envie de s’affirmer femme par la maternité, une femme qui aime le pouvoir…Des attributs inadmissibles pour une femme, mais adulés chez des hommes, dans le quotidien et dans la pop-culture!

Malgré cela, Olivia Pop est devenue une héroïne, et c’est là toute la beauté de cette œuvre de pop-culture, à mon sens.

Olivia Pope aura été et demeurera un symbole d’empouvoirement féminin pour toute une génération de femmes noires qui reçoivent et intègrent, en regardant « Scandal », ce message : Yes, You Can !