25 ans après son Nobel de littérature, 4 bonnes raisons de lire encore Toni Morrison

Written by on 28 mars 2019

Le 7 octobre 1993, l’Académie suédoise du Nobel décernait le Prix Nobel de littérature à l’auteure afro-américaine Toni Morrison, pour l’ensemble de son œuvre. 25 ans après, malgré le Nobel alternatif attribué à la Guadeloupéenne Maryse Condé, elle demeure la seule auteure noire à avoir reçu cette distinction, et ses œuvres ont gardé une puissance d’impact phénoménale sur les consciences, quel que soit le point de vue duquel le lecteur les découvre. Si on la connaît pour dénoncer les affres racistes d’une Amérique ségrégationniste et post-ségrégation, d’autres raisons font qu’encore aujourd’hui, Toni Morrison reste l’un des écrivains les plus puissants ayant jamais vécu.

Elle interroge le rapport des femmes noires à leur beauté 

Dans son dernier roman, Délivrances, en version originale God Help The Child (2015), Toni Morrison érige en héroïne contemporaine Lulla-Ann Bidwell alias « Bride », une jeune afro-américaine que la réussite professionnelle a fait gravir l’échelle sociale, au point d’en oublier ses origines et le traumatisme du rejet familial dont elle a fait l’objet dès sa naissance. Et pour cause, ses parents, chabin et mulâtresse bon teint, la considèrent comme une aberration, voir une malédiction, car Bride, elle, contrairement à son père et sa mère à la peau « chapé », est noire. Un noir profond et soutenu. Dans le milieu de la mode et des cosmétiques dans lequel elle réussit, elle réapprend à s’aimer, et à faire de sa couleur un atout qu’elle souligne en ne portant que des vêtements blancs. 

Une histoire qui n’est pas sans faire écho à son premier roman, The Bluest Eye(L’œil le plus bleuen français, ndlr) dans lequel, le personnage principal, une fillette noire américaine, rêve d’avoir des yeux bleus. Un attribut qui, dans l’imaginaire de la fillette, pourrait aider à enrayer la violence familiale qui l’entoure.Dans Jazz, Violette, la coiffeuse, défrise les cheveux crépus des femmes noires de son quartier, à tour de bras, dans sa salle de bains…
Autour de ces trois personnages, qui ne sont que des exemples parmi tant d’autres, une thématique forte : l’estime de soi, mais aussi et surtout l’esthétique et le sentiment de beauté des femmes noires. 

« Une esthétique de la survie » ou l’éloge du bigidi

Dans une série que lui consacre l’émission « La compagnie des auteurs » sur France Culture, depuis le début de ce mois, il est question d’une « esthétique de la survie ».En effet, dans tous les ouvrages de Toni Morrison, qu’il s’agisse de l’esclavage, du racisme, de la ségrégation, d’un conjoint violent, de fantômes du passé, de traumatismes sexuels ou familiaux, de soi-même, les personnages de Toni Morrison font tous preuve d’une beauté éclatante dans leur vulnérabilité et dans le combat qu’ils mènent pour continuer à vivre et exister.

Toujours au bord d’un précipice existentiel, ils illustrent à merveille le concept de bigidi analysé par la chorégraphe guadeloupéenne Léna Blou, à travers la geste du gwoka. Du perpétuel déséquilibre de l’existence naît une résilience, une force, qui sublime les affres de la vie pour que l’artiste en tire une esthétique forte dans l’histoire des Afro-Américain. Bigidi, men pa tonbé !

Elle explore les rapports amoureux complexes entre Afro descendants

Peu importent l’ouvrage, les personnages, les héroïnes, l’ensemble de l’œuvre de Toni Morrison explore aussi, même indirectement parfois, les rapports amoureux complexes entre Afro descendants. Violence, instabilité, passion folle, fusion, répulsion/attraction, foyers monoparentaux, bref, tous les topos des difficultés relationnelles amoureuses entre Noirs y passent, à travers le prisme de l’analyse fine et subtile des réminiscences des schémas coloniaux et esclavagistes où l’homme noir avait plus une place de reproducteur plutôt que de père de famille.

Elle s’investit dans la littérature pour enfants

On ne le sait que trop peu, mais depuis 2002, Toni Morrison, malgré son grand âge, a lancé avec son fils Slade (décédé en 2010 à 45 ans) une série de livres illustrés pour enfants. Loin d’être de simples albums jeunesse estampillés Morrison, ces livres explorent les thématiques qui tiennent à cœur à l’auteure : la lutte contre le racisme, l’estime et l’amour de soi, l’équité sociale, et le rapport à la famille, mis au niveau des enfants. Malins, ces ouvrages sont pour la plupart illustrés avec un style pop’art, et interrogent aussi la morale et les représentations des classiques littéraires tels que les fables de La Fontaine. 


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