Égalité salariale hommes/femmes : comment s’en sortir quand on est une femme professionnelle ?

Written by on 15 octobre 2021

« Vous avez de grandes prétentions salariales, pour une femme aussi jeune ! À votre âge, je ne gagnais pas autant ! »me suis-je entendu dire par un DRH après lui avoir annoncé le salaire minimum pour lequel j’accepterais de rejoindre son organisation. Au début de ma vie professionnelle, cette remarque m’aurait décontenancée, et j’aurais même accepté un salaire, aussi bas fusse-t-il, sans négocier. Mais cette fois-ci, j’ai respiré, souri et lui ai posément répondu : « En effet, je sais ce que j’apporte sur la table…peut-être vous construirai-je même la table ! »Malgré la déconfiture affichée par sa mine, le poste était à moi, à mes conditions salariales. Même si cette anecdote est personnelle, elle reste aujourd’hui symbolique pour moi d’une petite victoire sur un fléau dont souffrent les femmes dans le monde du travail : l’inégalité salariale avec les hommes. Comment combattre ce fléau quand on est une femme professionnelle ?

Savoir que les inégalités salariales femmes/hommes sont une réalité

Cela peut paraître surprenant, mais cette prémisse n’est pas toujours une évidence dans une logique de mansplaining et de manterrupting envers les femmes dans le milieu professionnel, dès lors que ces dernières manifestent ne serait-ce qu’une toute petite velléité d’égalité salariale. En effet, bien souvent, dès lors qu’une femme réclame qu’à compétences et à postes égaux, un salaire égal à celui des hommes, le premier réflexe des supérieurs hiérarchiques – surtout lorsqu’il s’agit d’hommes – est de minimiser voire de nier tout écart salarial dû au genre.

Je me souviens qu’à un poste de coordination politique important, dans une île de la Caraïbe française, mon supérieur avait exigé de moi que je fasse plus d’heures supplémentaires le soir. Bien sûr, des heures non payées, « pour la cause ».Je lui avais alors demandé de prendre uniquement en charge le paiement des heures de ma nounou, ayant alors un enfant de 3 ans, et étant mère célibataire sur une île où je n’avais aucune famille qui pourrait m’aider pour la garde. Ce dernier, avec un dédain et un aplomb monstrueux m’a sorti tout de go : « Avec tout ce que tu gagnes, j’attends de toi que tu paies toi-même ta nounou pour venir faire ces heures supplémentaires ! » Sur le coup, j’ai été estomaquée par tant de mauvaise foi, et je lui ai fait alors remarquer que je le faisais déjà quand je quittais le bureau tard, en période de tension, alors que rien ne m’y obligeait, mais que je le faisais par conscience professionnelle et par amour du travail bien fait. Mais là, il dépassait clairement les bornes et je lui ai alors souligné que je savais que mon homologue masculin, sans charges ni enfant, alors qu’il fournissait une quantité et une qualité de travail moindres que moi, gagnait bien plus que moi. Que n’ai-je pas alors entendu ! Que j’étais « ingrate, parano »,que je ne maîtrisais pas ce que je disais, et que sais-je encore ! Je ne me suis pas laissé désarçonner et j’ai rappelé ma qualité de professionnelle diplômée et expérimentée, ainsi que quelques chiffres concernant les disparités salariales genrées.

Ces chiffres, parlons-en, car il est facile de vouloir faire passer une femme professionnelle en quête d’égalité salariale pour une parano…mais les chiffres sont durs, ils sont là et ils sont éloquents : « Le salaire mensuel net moyen des hommes, en équivalent temps pleinest de 2 438 euros en 2015, celui des femmes de 1 986 euros, soit un écart de 452 euros. Les femmes perçoivent donc, en moyenne, 81,5 % du salaire des hommes, ou ont un salaire inférieur de 18,5 %. Ou encore, ce qui revient au même, les hommes touchent en moyenne un salaire supérieur de 22,8 % à celui des femmes », explique l’Observatoire des inégalités en France, dans un état des lieux sur « les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes » (25 mars 2019). Il est tout aussi important de souligner à ce stade que l’égalité des sexe est le 5è objectif de développement durable parmi 17 objectifs posés par l’ONU. Ce cinquième objectif se formule comme suit : « Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles , porte exclusivement sur les questions de genres. Des changements juridiques et législatifs majeurs sont nécessaires pour garantir les droits des femmes dans le monde. Bien qu’un nombre record de 143 pays garantissent l’égalité entre les hommes et les femmes dans leur Constitution en 2014, 52 autres n’ont pas encore franchi ce pas. Des disparités extrêmes entre les sexes persistent dans les domaines économiques et politiques. Malgré les progrès réalisés au fil des décennies, à l’échelle mondiale, le salaire des femmes ne représente que 77 pour cent de celui des hommes. Cet écart constitue une cause majeure des inégalités de revenus au cours d’une vie. La proportion moyenne des femmes dans les parlements nationaux est passée de 22,6 % en 2015 à 23,3 % en 2016 ». Même l’ONU donc pointe du doigt cette inégalité salariale. Alors non, mesdames qui réclamez un salaire égal, vous n’êtes pas paranoïaques !

Haïti a été ma première expérience où mon supérieur m’a garanti une équité salariale. Ici en compagnie du Ministre de l’Économie et des finances, du président de l’Assemblée Nationale et d’un collègue, en 2013. (Photo par JM Médor)

 

Être consciente des atouts que l’on apporte à l’organisation

Je sais que la réponse que j’ai apportée à ce DRH a été perçue comme une forme d’arrogance. Bien franchement, c’était le cadet de mes soucis, car une pareille réponse venant d’un homme, aurait été perçue comme une marque d’assurance et de leadership assumés, car l’on n’attend pas une femme (jeune et noire de surcroît !) sur ce créneau dans un milieu professionnel, surtout lorsque celui-ci est essentiellement masculin. Demander un salaire convenable et qui équivaut à celui d’un homme à compétences et postes égaux, cela passe aussi par un bilan personnel. Pourquoi votre candidature a-t-elle été retenue ? Pourquoi un chasseur de tête vous a-t-il couru après ? Comment vous distinguez-vous des autres candidats à ce poste ? Qu’apporterez-vous concrètement que d’autres ne peuvent apporter ? Quelle valeur ajoutée produisez-vous ?De quoi êtes-vous le symbole dans la Cité et que cette organisation voudrait récupérer ? Pourquoi vous et personne d’autre ?Si vous avez besoin du salaire que vous versera votre employeur ou les honoraires que vous paiera un client, dites-vous bien qu’en face, l’on a autant besoin de vous car vous serez aussi un atout à la réussite de votre employeur ou de votre client. Faites-leur savoir que vous en êtes conscients, de façon argumentée, en expliquant comment vous pourrez les aider à surmonter les défis auxquels ils font face. Pour ce faire, une veille est importante, et il est nécessaire de vous renseigner sur votre futur employeur ou vos prospects, afin de leur exposer comment vous pourrez être un atout pour eux.

Évaluer sa valeur réelle sur le marché du travail

Je ne compte plus combien de fois des jeunes professionnelles m’ont déclaré ne pas connaître leur valeur sur le marché du travail. J’ai en tête l’exemple d’une connaissance qui m’a avoué avoir accepté un poste à grandes responsabilités pour 1500€ nets mensuels, sans négocier, juste parce qu’en Guadeloupe, c’était déjà beaucoup. Connaissant l’organisation pour laquelle elle allait travailler, ainsi que les grilles de salaires qu’elle pratiquait, je savais que cette connaissance avait bradé son expertise et son expérience, et que c’était tout bénef pour l’organisation en question. Bien sûr, elle a eu le poste, au salaire qu’elle a elle-même annoncé. L’aubaine était trop belle pour que son employeur passe à côté ! Le problème de beaucoup d’entre nous ? Nous ne connaissons pas notre valeur réelle sur le marché du travail. Bien sûr, entre la valeur idéale (diplômes, expertises, expérience, réseau, symbolisme…) et la valeur réelle, il y a un delta où se situe la zone de négociation selon les moyens de l’employeur ou du client et votre volonté/pouvoir de ne pas renoncer en-dessous d’un certain seuil.Cette valeur, vous ne la connaîtrez qu’en étant objectif à votre sujet (cf. supra « Être consciente des atouts que l’on apporte… »), mais aussi en vous renseignant sur l’organisation pour laquelle vous souhaitez travailler.

Mais comment parvenir à cette connaissance ? Pour ce faire, nombre de moyens sont à votre disposition pour peu que vous vous bougiez et que vous fassiez preuve d’un peu d’audace : rapports d’activités, coupures de presse, réseautage formel ou informel avec des personnes qui connaissent l’organisation en question, sont autant de moyens de connaître les pratiques salariales d’une organisation. Ne vous en privez pas. Je me souviens que pour un entretien de très haut niveau pour une organisation populaire et centrale pour le développement de la jeunesse en Guadeloupe, l’un des membres constituant le jury d’entretien a été très surpris que je lui explique comment, sachant que cette organisation entrait dans un plan de sauvegarde, je comptais déployer un plan d’action stratégique pour redresser la barre. J’ai su par la suite que cela avait été hautement apprécié et qu’à partir de ce moment, le jury n’a plus vu une femme qui prétendait à un poste généralement confié à un homme, mais une professionnelle qui pouvait apporter des solutions concrètes.

S’entraîner à négocier

Si nous, les femmes, négocions constamment avec des bambins lorsque nous sommes mamans, alors j’estime que nous pouvons aussi négocier avec brillo dans le milieu professionnel ! Trop souvent, nous nous limitons et nous nous sentons obligées d’accepter des offres telles qu’elles nous sont présentées, même lorsque nous les savons discriminantes du fait de notre genre. Mesdames, négociez ! Pour ce faire, une lecture est fondamentale, et je n’oserai ici la paraphraser, alors je vous conseille vivement de vous procurer Toutes les clefs de la négociation : Communiquer. S’adapter. Convaincre par les excellents Michael Watkins et Richard Luecke dans la collection « Les Références Harvard Business Review ».  Et même lorsque vous serez en poste, ou que votre client a signé, mais que l’on tire de vous plus que prévu, n’hésitez pas à négocier ou des primes, dans le premier cas, ou des suppléments d’honoraires dans le second. Question de respect pour ce que vous apportez au succès de ceux pour qui vous travaillez.

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Si la question de l’égalité salariale est un enjeu clairement défini du développement durable, j’irai jusqu’à dire qu’il n’est que le premier pas vers un progrès plus souhaitable : le stade de l’équité salariale qui prendrait réellement en compte les défis qu’une femme doit relever pour être performante au travail. Mais ça, c’est un autre débat.