Kanelle Valton veut démocratiser l’accès et la réussite à Sciences Po Paris

Written by on 28 octobre 2022

La jeune Guadeloupéenne Kanelle Valton, ancienne élève de Sciences Po Paris et présidente de la section Antilles-Guyane de l’association Sciences Po Alumni vient d’être nommée au Conseil d’administration de l’association des anciens élèves de cette prestigieuse école. L’occasion pour Caribbean Boss Lady de revenir sur son parcours d’excellence et des missions de Sciences Po Alumni section Antilles-Guyane.

 

Caribbean Boss Lady : Sciences Po fête ses 150 ans cette année. Qu’est-ce qui fait l’importance de cette école dans le paysage éducatif français et international ?

Kanelle Valton : La richesse de Sciences Po, c’est son offre éducative. Au sein d’une même grande école, il y a en fait sept écoles qui proposent chacune plusieurs masters. En général il s’agit d’Humanités. Il y a une école de recherche, une école de management, les affaires internationales, le journalisme, le droit, l’urbanisme, et ce pour quoi on connaît en général Sciences Po, les affaires publiques. C’est le parcours qui traditionnellement amenait à l’École Nationale d’Administration. Ce que je vends en général aux candidats, c’est qu’ils ont en un seul endroit une variété incroyable d’enseignements et de diplômes bac +5 possibles, avec à la fois une grande ouverture à l’international – sous forme de double diplôme ou d’échange universitaire obligatoire en troisième année – mais aussi une vraie orientation sur les questions contemporaines, parce que l’objectif du créateur de l’école au XIXème siècle c’était d’offrir un enseignement des sciences politiques complet et contemporain. Une capacité développée à comprendre les enjeux actuels du monde, et pas une école tournée vers le passé.

Qu’est-ce qui vous a motivé à intégrer Sciences Po après le baccalauréat ?

La première fois que j’ai entendu parler de cette école, j’étais en seconde, mon professeur d’histoire et géographie avait fait Sciences Po, et il a reconnu dans mes copies un profil. J’étais bonne élève, mais surtout j’avais une capacité de synthèse : en général je ne remplissais pas deux copies doubles. C’était toujours court et efficace (rires). À ce moment-là j’hésitais entre un bac L et un bac S, mais j’avais surtout envie d’un parcours exigeant…et en même temps je n’étais pas un profil scientifique pur. J’avais une grande curiosité. Il m’a acheté des livres, m’a parlé de l’école, et j’ai apprécié que ce soit une école qui permette de choisir sa spécialité le plus tard possible. Il faut en effet savoir que tout le premier cycle est un contenu généraliste, et ce n’est qu’en master qu’on va choisir sa spécialité, et moi j’avais besoin de ce temps-là.

Que retenez-vous de vos années Sciences Po ?

J’ai été une jeune diplômée très frustrée, j’avais vraiment l’impression d’être trop généraliste, de ne pas avoir appris un vrai métier, et j’enviais beaucoup les étudiants en médecine qui sortent avec un diplôme et qui commencent à travailler dans un métier pour lequel ils se sont spécialisés. Mais en même temps, l’école m’a ouvert tout un monde : l’année d’enseignement à l’étranger a été fondamentale, et ça a changé mon existence. Je suis partie en Angleterre, j’ai pu étudier des questions qui jusqu’à présent structurent complètement ma vie professionnelle et intellectuelle, c’est-à-dire l’histoire de l’esclavage, sociologie, questions raciales, questions de genres. Ce sont des enseignements auxquels je n’aurais jamais eu accès en France et qui m’ont donné ouvert des capacités, même au niveau identitaire, et sur des questions de mémoire, de nos relations avec la France, et qui sont au centre du débat actuellement chez nous. Être allée chercher cela en Angleterre et aux États-Unis durant deux échanges universitaires, c’est hyper précieux, et si j’avais été dans une autre école, je n’aurais pas eu accès à ces enseignements.

La richesse de Sciences Po, c’est qu’elle vous donne les clefs pour aller chercher ailleurs ce qu’elle ne vous donne pas dans ses murs. J’ai eu une liberté totale pour choisir mes enseignements, et grâce à cela, je suis complètement bilingue. L’école a développé mon esprit critique et m’a donné les clefs pour répondre à toutes les critiques que j’avais contre elle. C’est extraordinaire ! Et surtout, je me suis rendu compte après quelques années dans le monde professionnel, que ma formation généraliste, c’est ma force : actuellement je travaille au cabinet d’une municipalité, auparavant j’ai mené des projets de coopération régionale, j’enseigne, je travaille avec des maisons d’édition. Cette formation me permet de vivre mille vies professionnelles à la fois.

Quelles sont les qualités nécessaires pour intégrer Sciences Po et réussir Sciences Po ?

Pour intégrer Sciences Po, il faut un élève solide en terminale. Un bon élève.

Souvent nos candidats ont des mentions au bac. On demande un élève qui a le potentiel de devenir à l’aise à l’oral, donc la préparation que j’offre est axée sur cela, car en réalité c’est ce qu’on attend de tous les cadres : pouvoir présenter des choses devant des assemblées, animer des réunions, des présentations, tout ce qui fait partie de l’ADN du monde dirigeant. Surtout ce qu’il faut c’est être aux prises avec les enjeux contemporains, le suivi et la compréhension de l’actualité. Et bien sûr exercer son esprit critique : identifier le problème, ne rien accepter comme donné, faire le tour de la question, argumenter pour arriver à une conclusion solide.

Parlez-nous de Sciences Po Alumni. Pourquoi était-ce important pour vous d’avoir une section Antilles-Guyane ?

L’association a une histoire aussi longue que celle de l’école. Aujourd’hui les Alumni sont à la fois des diplômés, mais également des étudiants qui sont en cours de formation. C’est une communauté énorme de près de 90 000 personnes. L’association elle, a des adhérents qui paient des cotisations. Nous sommes, au sein de cette association environ 7 500 actuellement.

Les Alumni sont organisés en entités, autrement dit organisés par centres d’intérêts ou centres géographiques. On a 150 entités en région et à l’international. Nous fonctionnons en réseau, e, clubs, de groupes professionnels aussi. Toute cette communauté est réunie autour de l’association qui a pour objectif de soutenir la communauté, notamment à faire face aux crises. En effet, à chaque fois qu’il y a des chocs économiques, l’insertion des jeunes diplômés – même des grandes écoles, est beaucoup plus difficile.

Quelles actions mènerez-vous avec au sein de cette section Sciences Po Alumni Antilles-Guyane ?

 Dans ce contexte, les jeunes diplômés ont besoin du soutien de leurs aînés pour intégrer le marché de l’emploi en préparant leurs candidatures. J’ai, par exemple, été coach en entretien d’embauche. Il y a aussi des ateliers pour en savoir plus sur son profil, naviguer dans une carrière dans le public…Il y a toute une offre de services qui sont dédiés à l’intégration et à l’épanouissement sur le marché professionnel.

Il y a aussi de la solidarité et aussi un soutien matériel. On a aussi un fonds de solidarité pour les étudiants en difficulté.

Ce qui caractérise notre section Antilles-Guyane, c’est l’information pour le cursus. C’est notre ministère, car notre public est éloigné des parcours d’excellence et il y a un gros déficit d’information.

Je porte des locks, je suis une femme guadeloupéenne, je travaille en Guadeloupe et j’ai fait l’École. Je suis la démonstration que ce n’est pas inaccessible, et ça, c’est très important pour les Alumni Antilles-Guyane.

Nous proposons aussi la préparation des candidats pour les mêmes raisons. On a des candidats d’origines modestes, on n’a pas des générations de conseillers d’État dans nos arbres généalogiques…donc on n’a pas cette préparation soft par les liens familiaux et l’entourage, donc nous, on doit former nos « bébés », comme je les appelle, en intervenant dans les ateliers proposés par les lycées. Et il nous faut aussi incarner ces parcours-là pour leur dire que pour eux aussi c’est possible : Je porte des locks, je suis une femme guadeloupéenne, je travaille en Guadeloupe et j’ai fait l’École. Je suis la démonstration que ce n’est pas inaccessible, et ça, c’est très important pour les Alumni Antilles-Guyane. Il y a vraiment un travail de préparation et d’incarnation

Quel regard portez-vous sur le système de quotas mis en place par Sciences Po en faveur des étudiants ultramarins ou issus des quartiers sensibles ?

D’abord il n’y a pas de quotas, il y a des objectifs. Quand les conventions d’éducation prioritaire ont été créées il y a 20 ans, il n’y avait même pas d’objectifs chiffrés. Il y avait une ambition d’ouvrir le recrutement pour que les bancs de Sciences Po soient plus à l’image de la France en général. Grâce à ces conventions, le recrutement a effectivement beaucoup évolué : ces dernières années, le recrutement s’est féminisé – on a à peu près 62% de femmes tandis que dans les années 80 il n’y en avait que 30% ; on a une vraie diversité géographique avec 54% d’élèves qui ne viennent plus d’Île-de-France ; les d’élèves issus de la classe moyenne étaient 9% en 1998, aujourd’hui ils représentent 20% des effectifs, et les élèves issus du milieu ouvrier étaient 3% en 1998, et ils sont 14% aujourd’hui.

Donc ces conventions, elles ont un succès qui est réel.

Le message qu’on essaie de faire passer aux élèves dans les lycées qui ont signé une convention d’éducation prioritaire, c’est « soyez excellents, et nous, adultes, on s’occupe de l’argent »

Les épreuves de sélection du concours d’accès ont aussi été modifiées pour être moins discriminantes envers les élèves d’origine modeste, et toutes ces initiatives ont un effet réel sur le recrutement et la diversité des élèves. Et toutes formes de diversités confondues : il y a aussi des politiques en faveur d’étudiants porteurs de handicaps, et depuis deux ans, on a aussi une vraie ambition à destination des élèves boursiers ; quels que soient leurs profils. L’idée c’est qu’on parvienne, à terme, à 50% d’étudiants boursiers. Il y a cette idée forte que les privilèges économiques transmis par les parents ne soient plus un critère de sélection qui ne dit pas son nom. Le message qu’on essaie de faire passer aux élèves dans les lycées qui ont signé une convention d’éducation prioritaire, c’est « soyez excellents, et nous, adultes, on s’occupe de l’argent ».  On ne veut pas que les candidats soient conditionnés à penser que Sciences Po est inaccessible parce que papa et maman sont agriculteurs au Moule.

 

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Retrouvez Kanelle Valton lors du 1er Afterwork Les Experts au féminin le 10 novembre à GuadeloupeTech, à Jarry, en Guadeloupe ! 

Réservation ici : https://my.weezevent.com/afterwork-les-experts-au-feminin-1-avec-kanelle-valton

 

 


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